De l’oral à l’écrit (et vice versa)
Les catalogues Coirault
Entretien avec Georges Delarue à l'occasion de la réédition des catalogues Coirault.
Pouvez-vous nous présenter l’ouvrage; à quoi sert ce catalogue et à qui est-il destiné ?
Ce catalogue est destiné à tous ceux qui souhaitent connaître notre patrimoine chansonnier et les différentes versions publiées d’une même chanson appartenant au répertoire populaire ancien. Les chanteurs et fredonneurs de chants peuvent également faire des recherches thématiques dans le répertoire (trouver tous les chants où il est question de l’arrivée du printemps par exemple) ou connaître d’autres formulations d’un chant qu’ils ont travaillé. Les musicologues y chercheront les souvenirs que les airs anciens ont pu laisser dans la tradition. D’autres étudieront la manière dont ont pu varier textes et mélodies ; ils seront aidés en cela par l’indication des « sources anciennes » c'est-à-dire les données relatives aux traces de la chanson dans des recueils des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, donc antérieurs à la recherche folklorique.
En somme, ce répertoire est un instrument de travail analogue aux deux catalogues dont on dispose pour les contes (Aarne et Thompson et Delarue-Tenèze). Il s’efforce de dresser un répertoire quasi exhaustif des chants traditionnels recueillis dans les pays de langue française et grâce à cette exhaustivité, il permet également d’établir une aire de répartition et de diffusion de ces chants.
L’outil nécessite un certain entraînement au décryptage des signes, pouvez-vous nous expliquer comment sont présentées les chansons, et à quoi servent toutes ces références abrégées ?
Chaque chanson-type renvoie à un numéro normalisé. A chacune nous avons attribué un titre qui cherche à évoquer le son contenu narratif, tout en tenant compte de la rubrique thématique dans laquelle Coirault l’a rangée. Bien évidemment, ce titre est arbitraire car, dans l’usage courant, il varie d’un chanteur à l’autre, d’une région à l’autre et il est souvent le fait du collecteur plutôt que du chanteur. Ainsi, dans la rubrique « Relations sociales », vous trouvez la chanson « Le maître jaloux du bouvier» et dans « Belles à l’armée» vous verrez « La fille-soldat reconnue grâce à sa chanson ».
Mais, à notre avis, un titre, si bien choisi qu’il soit, ne peut suffire à caractériser une chanson. Nous avons donc établi un résumé qui vise à restituer le squelette verbal de la chanson.
Nous donnons également la coupe, c’est à dire le nombre de pieds de chaque vers et la manière dont se répartissent les rimes (féminines/masculines). Identifier une chanson par sa coupe peut paraître difficile mais c’est le moyen le plus rapide pour y parvenir. Cette métrique est importante car elle commande la structure de la mélodie et a beaucoup aidé à sa mémorisation par le chanteur. A une chanson-type correspond une coupe, rarement plusieurs. Par contre, plusieurs chansons-types peuvent avoir la même coupe, ce qui a pu donner lieu parfois à des interférences entre chansons-types. Sans s’en rendre compte, la personne qui a entendu deux chansons différentes pourra restituer un texte qui combine l’une et l’autre. C’est un phénomène lié à l’oralité de la transmission. De ce fait, l’index des coupes facilite la recherche des échanges et interférences entre chansons et, surtout, il permet l’identification rapide d’une chanson-type dès que l’on a acquis ce réflexe.
Outre le dépouillement des recueils anciens, Coirault renvoie à sa propre collecte (Deux-Sèvres et Béarn) et donne les références aux manuscrits de Victor Smith (Velay-Forez, 1867-1876) et aux six volumes des « Poésies populaires de la France » (enquête Fortoul de 1852). Nous avons complété ces références par des ajouts de versions recueillies par des collecteurs contemporains comme, pour notre région, Johannes Dufaud, Sylvette Béraud-Williams, Jean-Noël Pelen… Par contre, bien que nous l’ayons envisagé dans un premier temps, nous avons renoncé à tout renvoi aux documents audio-visuels (disques, cassettes, archives sonores).
Cette notion de chanson-type n’est peut-être pas familière de nos lecteurs, pouvez-vous l’expliquer ?
Nous disons que deux chansons appartiennent à un même type si elles traitent du même sujet, si elles utilisent des expressions comparables et surtout, si elles ont une même structure de couplets. Par exemple pour la chanson « A la claire fontaine », plus répandue en France sous le titre « En revenant de noces », toutes les versions font allusion à une belle qui se baigne à la fontaine, s’essuie d’une feuille de chêne, dialogue avec le rossignol et dit « Mon ami m’a quittée pour un bouton de rose que je lui ai refusé ». De plus, toutes auront la même coupe. Bien sûr rien n’est aussi simple dans la tradition orale, et pour une même chanson nous avons souvent multiplié les renvois vers d’autres types voisins. Une chanson peut appartenir à deux types ; encore une fois, tout classement est arbitraire …
On dit souvent que les chansons traditionnelles ne parlent que de bluettes et d’amour mais votre catalogue montre assez efficacement que les thèmes traités par les répertoires populaires sont beaucoup plus variés…
Effectivement, le premier tome était consacré à la poésie et à l’amour (la séparation, les départs, les abandons ….) mais le deuxième recense les chants liés plus directement liés à la vie sociale et aux métiers (chants de bergères, chant de mariage, de métiers, chants liés à l’enfance, on y trouve aussi tous les chants liés à des évènements politico-historiques ... etc).
Quels sont les thèmes couverts par ce troisième tome au titre ambigu « Religion, crimes, divertissements », qui achève cet inventaire ?
Il débute par les chants à caractère religieux: vie des saints, Passion, quêtes, etc … Beaucoup de ces chansons ont une volonté moralisatrice comme la fille enlevée par le diable au sortir du bal ; d’autres ont valeur satirique vis-à-vis des gens d’église. Puis viennent celles relatives aux crimes (parricides, infanticides, etc.). On trouve aussi celles à caractère énumératif telles les randonnées (La Perdriole, Biquette n’veut pas sortir des choux, etc.). Arrivent enfin les chants de divertissement qui, depuis les plaisirs de la table ou la vie de l’ivrogne, abordent progressivement les thèmes érotiques.
Où se procurer cet ouvrage ?
Il est en vente au prix de 54€ (les deux premiers volumes sont encore disponibles) au Service éditorial et commercial de la Bibliothèque nationale de France, téléphone : 01 53 79 81 73 / 81 75
Propos recueillis par P.B.
---------
Témoignage de Catherine Perrier
Mercredi 7 mars. Je viens d’acheter mon tome III du Catalogue Coirault-Delarue, paru depuis deux jours. Pour moi, à la fois interprète, collecteur/chercheur, et enseignante de la chanson traditionnelle, les Catalogues sont des outils indispensables. Outils de travail, mais aussi outils de plaisir!
La découverte, au début des années 70, de l’extrême mobilité des paroles et des musiques, a généré chez moi une véritable fringale, toujours présente aujourd’hui. J’ai commencé à annoter de titres de chansons-types mes recueils et mes collectes, celles que me communiquaient les amis collecteurs, et aussi les nombreux disques sortis entre 1975 et 1985, (en me servant du Catalogue Laforte, 6 volumes parus entre 1977 et 1987. ) Tous mes bouquins et transcriptions sortis, je suis dans une espèce de fièvre, en quête d’un titre qui se dérobe, ou de versions qui vont me fournir une formulation plus frappante ou plus poétique.
Les besoins de l’interprète sont autres : se constituer une version critique où ce n’est pas l’accumulation des couplets qui compte, mais le bonheur de l’expression et la qualité de la mélodie, cela sans inventer, juste en choisissant parmi les trouvailles des milliers de gens par qui sont passées les chansons. Ainsi, dans “Le mari qu’on aime mieux mort qu’en vie”, quand la femme qui quitte son mari malade pour aller chercher le prêtre chante : “Je partis au mois d’septembre, je revins au mois d’avril”, c’est beaucoup plus drôle - et plus cruel - que : “Je partis l’dimanche au soir, je revins le mercredi”. Un tel choix présente un aspect volontariste auquel échappe généralement l’interprète traditionnel, encore qu’il lui arrive de modifier un scénario (la même chanson-type peut avoir une fin triste ou heureuse), ou de rajouter un ou plusieurs couplets. Cette option est permise à l’interprète, mais évidemment pas au chercheur qui publie une collecte ou une compilation. On n’est plus dans la logique de version critique d’un Doncieux, à la recherche d’un “original” lointain qui devait forcément comporter un maximum de couplets pour être complet.
Quand je transmets, en situation de cours, de stage ou d’atelier, je donne toujours, à côté d’un texte un tant soit peu édité, ma source dans son intégralité. Je fais aussi figurer, sous le titre incipit, les titres des Catalogues, car il est toujours possible qu’un jour ou l’autre, les participants veuillent aller plus loin dans leur connaissance des chansons. Je leur conseille aussi de se méfier des dates. Les gens adorent pouvoir dire : ça, ça date de 1575, ou 1720, ou 1810 ! alors que dans la plupart des cas, ces dates ne reflètent que l’époque où la chanson a été consignée par écrit. N’empêche qu’il est fascinant, au travers de versions portant sur trois, quatre ou cinq siècles, de constater et la mobilité, et la permanence de certaines chansons-types, tant dans leurs aspects musicaux que textuels.
Mais ce qu’il y a de merveilleux, c’est de se dire que même avec l’acquisition de ce troisième et dernier tome du catalogue Coirault, rien n’est fini, tout reste ouvert. Des découvertes restent à faire. Delarue nous dit lui-même qu’il a dû renoncer à inclure les sources sonores existant dans les collections publiques ou privées, y compris celles éditées sur disques et sur cassettes. Est-il impensable d’envisager pour celles-ci la poursuite du travail, via Internet par exemple - avec un contrôle des sources approprié - ainsi que me le suggérait Conrad Laforte voilà plus de dix ans ?
Catherine Perrier
Chanteuse, collecteuse infatigable, et chercheuse d’une grande érudition spécialiste des répertoires francophones, Catherine Perrier est à l’origine du mouvement folk, initié dans les années 70 avec la création du folk club Le Bourdon à Paris.